Békir Chance ou le syndrome du "Tatoué"
02 Oct 2024Kadima "Kadi" Kalgar
Békir Chance ou le syndrome du Tatoué« Le Tatoué » venait de Maia.
Maia, son monde bleu, ses Pléiades, sa ruée vers l'or, ses tauliers, ses banquiers, ses shérifs, ses saloons, un fourre-tout à l'image de ces antiques western d'autrefois, sans foi ni loi et au bordel sans nom.
Rompu à tous les exercices du style en la matière, le sien était particulièrement efficace et débarrassé de toute fioriture superflue, à savoir capable du pire comme du pire, mais toujours avec une précision létale.
Dans le ventre mou des allégeances foireuses et des engagements trahis, le Tatoué avait tracé sa route le plus souvent tout droit, parfois au plus offrant, mais toujours dans le cadre d'une éthique intacte dès qu'ils s'agissait de défendre les intérêts des minorités oubliées et des invisibles, entre autres esclaves, inlassablement laissés sans vie sur le bord des routes galactiques.
Au chapitre des mauvais souvenirs, il en avait vu et vécu des dommages collatéraux, des injustices iniques, des épurations, des rebellions avortées et des révolutions matées dans les bains de sang propres au genre, réputé humain, que l'on pouvait suivre à la trace depuis des millénaires un peu partout dans la Voie Lactée.
Lassé des petites intrigues fratricides d'une Bulle dévoyée sous le poids de corruptions endémiques, il n'avait pas hésité un seul instant à goûter au grand bol d'air frais promis par l'Explorer's Corp à l'aube du lancement de la colonisation vers Maia. Ainsi, fin 3301, il avait bouclé les containers de son T9 en direction des Pléiades où les perspectives d'éloignement géographique et de construction de stations orbitales bien au delà de la Bordure Extérieure lui allaient comme la promesse d'une seconde peau.
Une fois l'implantation à peu près viabilisée sur Maia et ses alentours, il entreprit d'y convoyer un Béluga tirant vers le haut de gamme alors que la forte demande pour du transport de passager en classe VIP explosait les poches de clients toujours plus fortunés qui contribuèrent en un temps record à la pressurisation des cales du « Moby Dick » qui avait profité de cette manne providentielle pour se payer le luxe d'être également en mesure de transporter toutes sortes de marchandises et d'équipements, surtout illégaux.
En conséquence, courant 3302, il avait aussi vu de très près les Forces Spéciales de l'Empire à l’œuvre sur Maia. Un jour, ces types pas franchement rigolards et aux yeux couleur dynamite, avaient furieusement fouillé en mode commando un site sous des “barnacles thagoïdes” avec un damper prévu pour s'enfoncer tout seul dans le sol en moins d'une heure pour y ouvrir un étroit tunnel à l'horizontale. Arrivés sous les barnacles en un temps record, ils étaient tombés sur des réseaux de profondes galeries dont les parois semblaient tapissées d'une substance verdâtre inconnue quoique manifestement de nature organique.
Le seul gars qui en était ressorti à peu près vivant, mais définitivement inconscient, avant de succomber quelques instants plus tard à bord de la navette médicale, avait l'air d'un fantôme avec une mine à tondre la banquise.
Les douze autres étaient morts dans les sinistres galeries. Littéralement liquéfiés. Façon gaspacho, mais sans les croûtons, à savoir entièrement dissous dans leurs amures Dominator encore expérimentales à l'époque.
Vinrent ensuite les nettoyeurs d'Achenar, en mode éponges et sacs poubelles : containers stériles à haute pression et drones collecteurs pilotés à distance, le tout pour une mission de récupération des fluides des Forces Spéciales impériales dans des bocaux cryos de type P8 sous scellés à destination de Facece et du labo militaire 03 de Peters Base , plus connu comme étant “l'Alcatraz des virus”, aux fins d'analyses.
Et ce fut, in fine, un transport civil qui se chargea d'acheminer discrètement la cargaison vers Facece pour ne pas attirer l'attention, surtout celle des Feds qui avaient mis en place un blocus tout autour de Maia et à toutes fins utiles.
Blocus. Beluga. « Moby Dick ». Bekir Chance. Avec, en soute, tout un commando impérial liquéfié mais désormais en bocaux P8.
“Amen” comme disait l'autre.
Le temps d'étouffer l'affaire bien comme il faut, soit quelques temps plus tard et alors que tout semblait enfin mieux rouler grâce au commerce lucratif de méta-alliages qui firent la réputation et la fortune de nombreux aventuriers, c'est à ce moment là que les choses avaient commencé à se compliquer assez sérieusement.
En plein blocus fédéral qui sortait de nulle part, juste pour faire chier en somme, un transport foireux d'artefacts inconnus encore à destination de Facece, un défaut d'isolation dans un container expérimental anti-corrosion, un serre joint hydraulique récalcitrant et une malencontreuse frappe très énervée du colosse Békir sur une vanne capricieuse, allaient marquer pour toujours les chairs du Tatoué.
Accidentellement exposé quelques fractions de secondes à un cocktail irradiant de technologie thargoïde dévastatrice, les chirurgiens impériaux lui avaient finalement bricolé, pour tous ses services rendus, un patchwork de peau synthétique granuleuse dont la coloration irrégulière donnait, au moins de loin, l'apparence de tatouages bleutés vaguement tribaux recouvrant tout son visage à l'exception de l'implant sur l'unique œil sans paupière qu'il avait pu conserver.
L'ensemble cybernétique était aussi inquiétant que fascinant surtout eu égard aux cliquetis réguliers de la tuyauterie chromée du système de respiration artificielle qui masquait toute la partie inférieure de ce qui avait vraisemblablement été autrefois son visage.
C'est à Maia que Chance, Békir Chance, avait accouché dans la douleur de lui même, du Tatoué.
Aux dernières nouvelles, après un séjour prolongé du côté de Colonia, il était accoudé au comptoir du Red 7221, l'incontournable bar d'Herodotus Dock de 32 MU, à la recherche de l'Archigraphe Heath Huston et de son vieil ami, Kadima Kalgar.
Avec toujours gravée en lui, comme dans la roche la plus dure, la même haine viscérale des Feds.